écrit par Rosie Spinks, publié sur Upliftconnect.com, le Mardi 8 Mai, 2018, traduit de l’américain par Marion Dupuy
Les bénéfices surprenant d’une position oubliée
Les phrases qui commencent par « Un jour un guru m’a dit… » me font, la plupart du temps, lever les yeux au ciel. Mais récemment, alors que je me reposais en Malasana, (position de yoga équivalente à un accroupissement intense, lors d’un cours à l’est de Londres), j’ai été frappé par la seconde partie de la phrase du professeur : « Un jour un guru ma dit que le problème avec l’occident, c’est qu’il ne s’accroupit pas ».
Ceci est tellement vrai ! Dans la plus grande partie du monde développé, se reposer est synonyme de s’asseoir. On s’assoit sur des chaises de bureau, on mange sur les chaises de la salle à manger, on se déplace assis sur les sièges des voitures ou des trains, et on rentre à la maison pour regarder Netflix dans des fauteuils confortables. En dehors des brefs répits pour marcher d’un siège à l’autre, ou pendant les courts intervalles où nous pratiquons frénétiquement des exercices sportifs, nous passons nos journées le plus souvent assis. Cette dévotion que nous avons à placer nos derrières sur des chaises, fait de nous une aberration à la fois mondialement et historiquement. Dans la moitié du siècle dernier, les épidémiologistes ont été forcés de changer leur manière d’étudier les manières de nous déplacer. Dans les temps modernes, le temps passé purement assis est un problème à part entière et distinct du temps que nous (ne) consacrons (pas assez) aux exercices physiques.
Notre échec à nous accroupir a des implications biomécaniques et physiologiques, mais cela illustre quelque chose de plus général. Dans un monde ou l’on passe tant de temps dans nos têtes, dans les nuages (cloud), sur notre téléphone, l’absence d’accroupissement nous laisse privé de la force d’ancrage que la posture a apporté depuis que nos ancêtres hominidés se sont pour la première fois décollés du sol. En d’autres mots : si ce que nous voulons c’est être bien, il serait peut être temps pour nous de descendre.
Dans la plus grande partie du monde, s’accroupir au quotidien est aussi normal que s’asseoir dans une chaise.
L’accroupissement intense comme une forme de repos actif.
Pour être clair, s’accroupir n’est pas juste un apprentissage de notre évolution historique. Une large tranche de la population de la planète, continue à le faire tous les jours, que ce soit pour se reposer, pour prier, pour cuisiner, pour partager un repas, ou pour utiliser les toilettes. (Les toilettes « à la turque », sont la norme en Asie, et les fosses utilisées dans toutes les zones rurales à travers le monde requièrent également de s’accroupir.) Quand ils apprennent à marcher les tous petits, du New Jersey à la Papouasie Nouvelle Guinée, s’accroupissent et se relèvent depuis le sol, avec aisance et grâce. Dans les pays où les hôpitaux sont rares, s’accroupir est également une position qui est associée avec le moment le plus fondamental de la vie : la naissance. Ce n’est pas spécifiquement l’Ouest qui ne s’accroupit plus, c’est la riche société et les classes moyennes, partout dans le monde… Mon collègue, Akshat Rathi, originaire de l’Inde, m’a fait remarqué que l’observation du guru pourrait être « Aussi vrai dans toutes les grandes villes du monde, que dans les pays de l’Ouest… »
Mais en Occident, des populations entières – pauvres et riches – ont abandonné la posture. L’accroupissement est surtout vu comme une posture indigne et inconfortable, une de celles que l’on évite complètement ; au mieux, on la pratique pendant le Cross fit, le Pilates ou quand on soulève des poids à la salle de Gym. Mais on la prend seulement partiellement et souvent avec des accessoires, une manœuvre répétitive que l’on imagine difficilement être utile à nos ancêtres, d’il y a 2,5 millions d’années. Ceci sans considérer qu’un accroupissement profond est une manière de se reposer qui a été construite au cours de notre évolution et de notre développement passé. Mais, ce n’est pas la raison pour laquelle vous ne pouvez pas vous accroupir confortablement et profondément. C’est juste que vous avez oublié comment !
« Tout a commencé avec la position accroupie » dit l’auteur et ostéopathe Phillip Beach, installé à Wellington en Nouvelle Zélande. Beach est connu pour être un pionnier dans la théorie des « postures archétypales » : ces positions – l’accroupissement profond et passif, les pieds à plat, mais aussi l’assise en tailleur (Shukasana) et la position assis sur les genoux pliés (Vajrasana) – ne sont pas seulement bonnes pour vous, mais sont également, « profondément intégrées à la façon dont nos corps sont construits ».
Les enfants de l’Ouest s’accroupissent aisément. Pourquoi leurs parents ne le peuvent-ils plus ?
« Vous ne comprenez pas vraiment comment fonctionne le corps humain jusqu’à ce que vous réalisiez à quel point ces postures sont importantes. Ici en Nouvelle Zélande, il fait froid et humide et c’est boueux. Sans nos pantalons modernes, nous ne pourrions pas poser nos derrières dans la boue mouillée et froide, alors (en l’absence de chaise) je pourrais passer beaucoup de temps accroupi. La même chose pour aller aux toilettes. Tout le processus de fonctionnement de votre physiologie est construit autour de ces postures. » Beach
Pourquoi avons nous arrêté de nous accroupir ?
Pourquoi est ce que s’accroupir est-il si bon pour nous ? Et pourquoi tant d’entre nous ont-ils cessé de le faire ?
Cela peut être simplement résumé à une histoire de « utilise-le ou tu le perd » dit le docteur Bahram Jam, un thérapeute physique et fondateur de ‘l’institut éducatif de la thérapie physique avancée’ (APTEI) en Ontario, au Canada.
Toute articulation dans un corps humain possède en elle un fluide synovial. C’est l’huile corporelle qui apporte leur nourriture à nos cartilages. Deux choses sont requises pour produire ce fluide : le mouvement et la compression. Donc si une articulation n’utilise pas sa pleine capacité d’ouverture – si les hanches et les genoux ne dépassent pas 90° degrés – le corps dit « Je ne suis pas utilisé » et commence à dégénérer et à arrêter de produire son fluide synoptique.
Une saine musculature ne fait pas que, nous faire sentir souple et léger, cela a aussi des implications plus générales pour notre santé. Une étude de 2014 publiée dans « le journal européen de la cardiologie préventive » a découvert que les sujets qui montraient des difficultés à se lever du sol sans l’aide de leurs mains, ou d’une épaule, ou d’une jambe (ce qui est appelé le test ‘assis-levé’) avaient une vie de trois ans plus courte que les sujets qui se levaient aisément.
La pratique du yoga est souvent une des seules occasion de s’accroupir en Occident.
L’évolution de la forme des cabinets
En occident, la raison pour laquelle la plupart des gens ont arrêté de s’accroupir régulièrement a beaucoup à voir avec la forme des cabinets. Les trous dans le sol, les cabinets extérieurs et pots de chambres demandaient tous de s’accroupir ; et des études montrent qu’au moment de se soulager, une meilleure flexion de la hanche allège la pression dans les intestins facilitant le transit. Les toilettes à siège ne sont en aucun cas une invention anglaise – les toilettes simples remontent à la Mésopotamie au 4èmemillénaire avant JC. On dit que les anciens Minoens de l’île de Crète, furent les premiers à tirer la chasse d’eau. Mais ils ont d’abord été adoptées chez les Tudors en Angleterre, qui au 16èmesiècle, entrainèrent leurs valets de chambres à les aider à se soulager dans des cabinets en forme de trônes et décorés .
Les deux cents années suivantes connurent une lente et inégale innovation des toilettes. Jusqu’à ce qu’en 1775, un horloger du nom d’Alexandre Cummings, développe la forme en S des tuyaux et leur installation sur une citerne surélevée, un développement crucial. Ce n’est pas avant la fin des années 1800, que finalement, Londres construisit un système d’égouts fonctionnel. Ce ne fût qu’après une épidémie persistante de Choléra et, aussi horrible que cela puisse paraître, seulement après la « grande puanteur » de 1858, que des cabinets assis entièrement équipés de chasse d’eau commencèrent à apparaître fréquemment dans les maisons des habitants.
Aujourd’hui, on trouve les cabinets « à la turque » équipés de chasse d’eau dans toute l’Asie et bien sûr, pas moins hygiéniques que leur contrepartie occidentale. Mais Jame dit que l’adoption par l’Europe du trône assis empêche les gens d’avoir besoin de s’accroupir (et donc les prive de leur pratique quotidienne). Aujourd’hui, savoir que s’accroupir conduit à un meilleur transit intestinal, alimente, effectivement la popularité du Lilipad et du Squatty Potty, des plateformes surélevées qui transforment un cabinet occidental en un cabinet pour s’accroupir et permet à l’utilisateur de s’asseoir dans une position pliée qui mime un accroupissement. Jam dit : « La raison pour laquelle s’accroupir est inconfortable est simplement que nous ne le faisons pas. Mais si, chaque jour, vous allez aux toilettes 1 ou 2 fois pour votre transit et encore 5 fois de plus pour soulager votre vessie, cela vous fait vous accroupir 6 ou 7 fois quotidiennement ».
Les plateformes surélevées qui transforment des toilettes occidentales en des toilettes « à la turque » sont populaires.
Une position primitive
Tandis que dans l’Ouest, l’inconfort physique peut être la raison principale pour laquelle nous ne nous accroupissons plus, la raison secondaire est l’aversion culturelle pour l’accroupissement. Alors que s’accroupir ou s’asseoir les jambes croisées sur notre chaise de bureau serait adéquat pour la santé des articulations de nos hanches, la garde robe du travailleur moderne, pour ne pas parler de l’étiquette formelle du bureau, rend ce genre de positions infaisables. La seule fois où nous nous attendons à ce qu’un chef ou qu’un élu officiel se rapproche du sol, ça serait pour le moment photo avec de mignons enfants de l’école maternelle. Effectivement, les gens que l’on voit accroupis sur les trottoirs dans une ville telle que Paris ou Quito ont tendance à être le genre de personnes que l’ont évite, pressés et empli de notre propre importance. Jam explique : « S’accroupir quelque part est considéré comme étant primitif et d’un statut social inférieur. Quand nous pensons à nous accroupir nous pensons à un paysan indien, ou à un membre d’une tribu africaine, ou à la saleté qui recouvre le sol des villes. Nous pensons avoir évolué et dépassé cette position mais en réalité nous avons involué en nous en éloignant. »
Avni Trivedi, une doula (accompagnante de grossesse) et ostéopathe installée à Londres (Aveu : Je l’ai moi-même consulté par le passé, pour des problèmes de douleurs en position assise) dit la même chose à propos de l’enfantement accroupi, qui est toujours majoritairement utilisé dans les pays en développement et est de plus en plus défendu en occident par le mouvement des naissances holistiques.
Devrions-nous remplacer les chaises par la position accroupie et dire adieu à nos chaises de bureau ?
Quand une femme donne naissance dans la position accroupie, les muscles se détendent et permettent un libre mouvement du sacrum afin que le bébé puisse pousser vers le bas, la gravité jouant également son rôle. Mais les préjugés des femmes (le corps médical ?) sur cette position considérée comme primitive, ont fait qu’elles ont abandonné cette position pour accoucher allongées dans un lit où elles sont moins au contact de leur corps et ont moins de capacités de gestion du processus de naissance.
Une impulsion dans l’évolution
Donc devrions-nous abandonner l’assise pour s’accroupir et dire adieu pour toujours à nos chaises de bureau ? Beach remarque que « quelle que soit la position qui est tenue, si on la tient trop longtemps, elle va nous causer des problèmes ». Il y a même des études qui suggèrent que les populations qui passent de nombreuses heures chaque jour dans un accroupissement profond, abîment leurs genoux et rencontrent des problèmes d’arthrite.
Mais pour ceux d’entre nous qui ont largement abandonné l’accroupissement, Beach dit que : « Vous ne pouvez pas vraiment trop vous accroupir ». Au delà de l’amélioration de la santé et de la souplesse des articulations, Trivedi remarque qu’un intérêt croissant au niveau mondial pour le yoga est peut être la reconnaissance que « être en contact avec le sol aide à être physiquement ancré en soi-même ». Quelque chose qui est largement manquant dans notre société dominée par les écrans, et dans nos vies hyper mentales.
Beach est d’accord pour dire que ceci n’est pas une mode, mais une impulsion évolutive. Le mouvement moderne général vers le bien-être commence à admettre que « la vie au sol » est charnière. Il avance l’argument que l’acte de s’ancrer physiquement dans le sol a été un instrument dans l’évolution de l’espèce, … Son devenir ?
Dans un sens, la position accroupie, c’est là d’où vient l’humain (chacun d’entre nous), donc cela nous incombe de la revisiter aussi souvent que possible.